Débat et Atelier au BIS 2014
Créateur aujourd’hui, quels enjeux, quels moyens, quelle visibilité ?
Intervenant Patrice Rabine, administrateur du Théâtre Folle Pensée
Présents Brigitte Dumez, Isabelle Magnin, Michel Lestrehan, et Sosana Marcelino pour Chorégraphes Associés
• Introduction
Brigitte Dumez, co-présidente présente Chorégraphes Associés et les intervenants présents à la table. Elle poursuit par la lecture du texte d’introduction écrit par Micheline Lelièvre :
La place du créateur dans la société est une place à sans cesse interroger.
Le créateur est celui qui explore de nouveaux horizons, et il vit dans une société qui évolue, qui se transforme et dont il fait partie en tant qu’être social.
Le monde d’aujourd’hui a bougé très vite et le rapport au monde de la culture et à ses créateurs aussi.
Prenons un exemple simple avec l’apparition du numérique : tout le monde peut faire des photos, de la musique, faire des films…. Cela ne fait pas pour autant de tout un chacun un créateur, mais cela bouge la place de celles et ceux qui en font leur gagne pain, leur métier, et cela bouge aussi la place que la société leur accorde, leur reconnaît….
La question qui se pose aujourd’hui est celle de la spécificité du créateur, comment le penser pour qu’il soit reconnu comme membre contribuant à la vie sociale par le biais de sa création ?
Par corrélation, cela pose la question de savoir si un créateur est un travailleur, et en ce cas, comment définir son travail et donc sa valeur…
Un créateur n’est pas quelqu’un d’isolé dans la société, même s’il le souhaite éventuellement, il est relié à un monde qui vend des œuvres ou qui les achète, à un public qui vient voir un spectacle. Il y a donc toute une économie autour du créateur.
Par ailleurs, malgré tous les moyens dont nous disposons et qui sont à la portée de chacun, ce qui me frappe, c’est la totale méconnaissance du public de ce qu’est un créateur, de ce qui fait le cœur de sa vie, de son engagement…..
Alors peut-être y aurait-il deux chantiers à mener, l’un qui permettrait de rendre visible, compréhensible, et en tous cas reconnu comme une manière particulière de travailler, le champ du créateur, et l’autre qui serait de réfléchir à la valeur du travail du créateur, comment offrir une rémunération à ce type de travail difficilement identifiable et donc lui donner une sorte de reconnaissance sociale, sociétale…..
Voici les quelques points qui pourraient être un point de départ à une réflexion sur « le créateur aujourd’hui, quels enjeux, quels moyens…..
• Intervention de Patrice Rabine
« Je suis administrateur d’une compagnie de théâtre. J’accompagne des artistes de théâtre sur le versant de la production et seulement sur ce versant-là. Je n’interviens pas sur la qualité du geste artistique, encore moins sur la place que les artistes entendent occuper.
On me demande de limiter mon intervention à une vingtaine de minutes. J’aurai, par conséquent, seulement le temps de vous livrer cinq clefs de lecture, cinq entrées polémiques dans la vie quotidienne d’une structure de création artistique.
1/ LA REMISE EN CAUSE DE L’INTERMITTENCE DU SPECTACLE AGRESSE VIOLEMMENT L’ARTISTE
En 2012, lorsque j’ai rédigé une contribution sur l’intermittence du spectacle pour le Sénat, mon objectif principal était de démontrer que la Cour des comptes s’était discréditée en produisant à propos de l’intermittence un rapport partisan et peu rigoureux. Je le faisais en lien étroit avec la CIP-IDF.
Les contraintes imposées par la loi à la Cour des comptes sont en effet définies par la Constitution française (Article 47-2) :
– elle doit évaluer les politiques publiques au regard de l’utilité générale (ce qui, en toute logique, devrait inclure, par exemple, les externalités positives),
– elle doit produire des avis « Réguliers et sincères » et donner une « image fidèle » au regard des règles comptables.
Sur ces deux contraintes, la Cour des comptes n’a pas eu dans le dossier intermittents la rigueur attendue. Quand le DG de l’Unédic avoue devant l’Assemblée nationale qu’il n’a pas de vision comptable des recettes, évalue à seulement 300 millions d’euros l’économie réalisée si on transférait les intermittents au régime général ; quand deux ministres désavouent la Cour des comptes devant l’Assemblée nationale… on comprend que nous sommes arrivés à un moment de bascule.
Comment cela se traduira-t-il lors des négociations paritaires sur les annexes 8 et 10 ? Je n’en sais rien, je ne suis pas du tout optimiste.
2/ L’ARTISTE ET LA CRÉATION ARTISTIQUE SONT AU CŒUR DES INDUSTRIES CULTURELLES ET CRÉATIVES, AU CŒUR DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Plusieurs études très solides ont été publiées en 2013 et 2014.
> En avril 2013 : le « Rapport d’information sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques » publié par la Mission d’information commune de l’Assemblée nationale.
> En novembre 2013 : « 1er panorama des industries culturelles et créatives. Au cœur du rayonnement et de la compétitivité de la France », réalisée par Ernst and Young et France Créative
> En décembre 2013, « Acte II de l’exception culturelle : l’ère de l’industrialisation ? », réalisée par NPA Conseil et l’Essec (École supérieure des sciences économiques et commerciales).
> En décembre 2013 : « L’apport de la culture à l’économie en France », réalisée conjointement par L’Inspection Générale des Finances (IGF – Ministère de l’Économie et des Finances) et L’Inspection Générale des Affaires Culturelles (Ministère de la Culture).
> Début janvier 2014 : « Quelle indemnisation chômage pour les intermittents du spectacle ? Modélisation et évaluation d’un régime alternatif », réalisée par Mathieu Grégoire et Olivier Pilmis (CNRS, CURAPP, CSO Université de Picardie).
Toutes ces études vont dans le même sens : elle donne un contenu scientifique à ce nouveau regard porté sur la culture et l’intermittence du spectacle. Premier constat : la culture est un des secteurs les plus dynamiques de l’économie française, en terme de chiffre d’affaires comme en terme d’emplois. Les externalités positives qu’elle induit sur les autres secteurs d’activités sont considérables. Deuxième constat : l’intermittence du spectacle constitue un modèle de flexi-sécurité inventif et parfaitement viable. Un modèle particulièrement bien adapté aux contraintes économiques d’aujourd’hui, puisqu’une partie croissante de l’économie adopte une logique de projet.
3/ L’ARTISTE EST STRUCTURELLEMENT VASSALISÉ
– Comment le créateur pourrait-il jouir d’une réelle liberté de création alors qu’il est structurellement vassalisé ? C’est une question centrale, déterminante. Il n’existe pas de réseau labellisé de compagnies (le MCC ne reconnaît pas la Compagnie conventionnée comme label national), alors qu’il en existe plusieurs du côté des institutions nationales et des structures de programmation et de diffusion. Cette situation crée un déséquilibre structurel qui vassalise et entrave les compagnies. Nous suggérons que, face aux réseaux labellisés des institutions nationales (Théâtres nationaux, Centre dramatiques nationaux, Scènes nationales, Scènes conventionnées, Scènes de territoire) soit mis en place des réseaux labellisés de même nature pour les compagnies (Compagnies nationales en région, Compagnies conventionnées, Compagnies de Territoire, Compagnies émergentes). Nous déclarons nécessaire le rééquilibrage entre la création et la diffusion, entre le créateur et le programmateur.
– Pourquoi ne reconnait-on pas aux équipes artistiques et aux compagnies le droit de se développer ?
– Comment enrayer la confiscation des outils de production et des aides publiques par les institutions nationales au détriment des compagnies ?
– Comment enrayer la confiscation des aides du MCC par l’Île-de-France au détriment des autres régions ?
– Comment limiter la diffusion croisée entre institutions nationales, qui exclut de fait les spectacles produits par les compagnies ?
– Comment mettre un terme à la généralisation de l’effet blockbuster ? Autrement dit à l’excès de programmation construite autour d’un gros budget, de gros revenus et d’un casting prestigieux basé sur une ou deux têtes d’affiche parisienne du théâtre, de la télévision ou du cinéma.
4/ LA FIN DU FINANCEMENT CROISÉ DES COMPAGNIES PAR L’ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES SIGNERAIT LA FIN DES COMPAGNIES
L’article 2 de la loi MAPAM prévoit la possibilité pour l’État de déléguer ses compétences à une collectivité ou à une communauté qui en ferait la demande. Le délégataire agirait au nom et pour le compte de l’Etat. Cette délégation ainsi que le souhait exprimé par la Région Bretagne de la mettre en application pour la culture rendent possible le transfert au Conseil régional des compétences et des crédits d’intervention de la DRAC Bretagne.
Ce qui pourrait avoir comme conséquence un affaiblissement de la présence de l’État ; dans certains cas, son retrait. La prédominance de l’État a permis de construire pas à pas des accords et des dispositifs avec les collectivités territoriales. Elle a permis de mettre en place des financements croisés, gages de libertés, d’audaces, d’inventions.
Il n’est pas certain que la Région cheffe de file puisse jouer auprès des autres collectivités le rôle de locomotive joué par l’État depuis 1981. Il n’est pas certain que le financement croisé des compagnies par l’État, la Région, le Département, la commune survive à cette délégation. Aujourd’hui chacune de ces quatre institutions politiques apporte un quart de leurs ressources aux compagnies.
5/ LA PLACE DE L’ARTISTE EST OCCUPÉE EN MAJORITÉ PAR DES HOMMES
Contrairement aux idées reçues, la culture et les arts du spectacle en France, sont très en retard en termes d’égalité femmes/hommes.
En 2011, en France :
– 81,5 % des postes dirigeants de l’administration culturelle sont occupés par des hommes
– 75 % des théâtres nationaux (dramatiques et lyriques) sont dirigés par des hommes
– 92 % des théâtres lyriques en région sont dirigés par des hommes
– 96 % des opéras sont dirigés par des hommes
– 70 % des centres chorégraphiques nationaux sont dirigés par des hommes
– 85 % des centres dramatiques nationaux sont dirigés par des hommes.
– 70 % des compagnies dramatiques subventionnées par le Ministère de la Culture sont dirigées par des hommes.
En 2012, sur 33 CDN, 1 seul est dirigé par une femme.
La part des femmes ne dépasse 40 % que dans un seul type d’établissement : les centres dramatiques régionaux dirigés à « seulement » 57 % par des hommes.
0 femme chef d’orchestre programmée en 2011/2012 dans l’Orchestre national de France, l’Orchestre national de Lille, l’Orchestre national de Lorraine, l’Orchestre national du Capitole à Toulouse.
• Intervention de Michel Lestréhan
Présentation de sa cie + la gestion en collectif du « Garage » à Rennes.
Pouvoir créer entre la France et l’Inde représente une valeur de fond malgré les difficultés à avoir plusieurs casquettes pour gérer la diffusion, les coproductions, les visas…
Cela ne remet pas en question les temps de création.
Il est nécessaire de se former pour être capable d’évoluer dans les domaines structurants comme la communication…
• Intervention de Sosana Marcelino
Présentation de sa cie à travers la Lorraine, région frontalière permettant des échanges avec le Luxembourg et l’Allemagne. Les accords passés entre cette région et d’autres régions à l’étranger permettent la mise en place de projets au niveau européen et international (Pologne, Chine). L’enjeu est de pouvoir apporter le point de vue du créateur dans d’autres cultures éloignées, de les confronter à leurs propres valeurs et de permettre une transmission à ceux qui sont demandeurs sur place (écoles, universités…)…
• Intervention d’Isabelle Magnin
Présentation de sa cie installée dans le Var. Question autour du temps passé à la conception du projet qui n’est jamais pris en considération. Pour l’intermittent, le temps passé à l’élaboration est celui du chômeur, cela pose question sur comment la création est elle réellement soutenue.
Présentation d’une dynamique interdisciplinaire ayant réactivé un collectif, actuellement une trentaine de cies soutenues au niveau de la gestion par des financements croisés, un réel outil de mutualisation…