Communiqué de presse édité le 12/11/14
Madame la Ministre,
Nous avons été interpellés par quelques unes de vos remarques, telles qu’elles nous sont parvenues au gré des entretiens que vous avez menés ici et là dans notre étonnant monde de la culture.
Nous sommes auteurs, chorégraphes plus précisément, et il semblerait que nous n’envisagions pas les choses de la même façon. Ainsi, nous avons été surpris par votre choix d’utiliser le mot « contenu » à la place de celui « d’œuvre ». En ce qui nous concerne, nous considérons que nous ne produisons pas du « contenu », mais des chorégraphies, donc des œuvres. Cela ne les empêche pas d’avoir du contenu, mais ce n’est pas le geste premier.
En tant qu’auteurs, chorégraphes, nous sommes des artistes et comme vous le savez, c’est un genre un peu particulier.
L’artiste n’est que fort rarement là où on l’attend, son côté frondeur n’est pas à négliger et sa capacité à observer le monde de manière décalée est constituante de sa nature. Ceci entraîne un rapport au public assez particulier.
Vous avez raison de dire que si l’on considère le « public » comme une entité et l’art comme un « produit », il est logique de trouver les moyens que les deux communiquent.
Mais si cela vaut pour des marchandises, il y a fort à parier que cela n’ait aucun sens et soit même un fameux contresens en ce qui concerne les œuvres, qui ne sont pas des produits, donc ne répondent pas aux normes mercantiles usuelles. La loi du marché ne peut servir de point de départ pour un artiste qui ne va pas rapporter de monnaie sonnante et trébuchante, à l’exception de quelques-uns qui ne représentent pas la majorité du vivier créateur de notre contrée artistique.
Ce qu’apporte l’artiste, c’est une part de rêve, un autre regard, un engagement citoyen qui se mène lors d’actions de partages d’expériences. Bref, tout cela ne se mesure pas en terme de rentabilité.
Le public, quant à lui, n’est pas un groupe constitué, mais il est composé de personnes distinctes, ce qui veut dire que les œuvres s’adressent à chacun dans sa singularité, avec l’idée en arrière fond, qu’il est certain que l’on ne peut « plaire » à tout le monde et qu’il y a mille raisons à cela et que ces raisons n’appartiennent pas à l’auteur, à l’artiste.
L’idée de partir des usages des consommateurs est contraire à un principe artistique. Les fameux algorithmes de recommandation ne peuvent fonctionner en ce qui concerne la création, les artistes, les œuvres. Ce serait les réduire à de simples objets de consommation, ce qui serait contraire à leur nature.
Un artiste, une œuvre, un créateur, ouvrent des portes, posent des questions, interrogent le monde, l’espace, le temps. L’impertinence est leur fond de commerce.
Bien sûr en ces temps troublés, il est grand temps de réfléchir à comment mettre en valeur le travail des artistes, le temps de création des œuvres, la solidarité interprofessionnelle. Il est grand temps de réfléchir à comment un créateur, un auteur, un artiste peuvent jouer un rôle actif, reconnu dans la société, plutôt que de les laisser œuvrer dans l’ombre et les difficultés. La reconnaissance de l’artiste au travail serait très profitable pour une société, car toutes les personnes qui composent le « public » ont besoin d’un espace ouvert, questionnant, intriguant, stupéfiant, réjouissant.
En attendant que ce rêve se réalise, nous nous permettons de vous inviter à notre débat «Qu’est-ce qu’une œuvre ?» que nous mènerons le 26 novembre à micadanses, 20 rue Geoffroy l’Asnier à Paris, de 14h30 à 17h30.
Veuillez recevoir, Madame la Ministre, l’expression de notre profond respect.
Chorégraphes Associés