Après l’enquête sur la structuration, Chorégraphes Associé.e.s continue de se faire le relais des chorégraphes sur le terrain. Une nouvelle série d’entretiens est lancée dans un but de partage d’expérience. Les membres du conseil d’administration recueillent ses témoignages sur des thèmes qui leur tiennent à cœur.
Il existe un version audio et une transcription écrite pour chaque entrevue.
Voici le 1er de la série :
Les « Communs » pour Natacha Paquignon, interviewée par Micheline Lelièvre
Micheline : Natacha, à l’origine c’était quoi ton projet.
Natacha : Alors déjà dès l’origine et c’est encore vrai aujourd’hui, c’est une histoire collective. Tu dis que je dirige la structure, la compagnie, en fait je dirige les projets artistiques bien sûr mais la 1e structuration passe par un bureau associatif actif, qui dirige réellement la structure. En particulier un présidente ou une présidente très impliqué.e, qui assume pleinement son rôle d’employeur. Et ça on a toujours eu.
Même si ça a pas mal bougé, le projet artistique a pas mal évolué, il y a des choses qui n’ont pas changé depuis les débuts de la compagnie, il y a une constante, notamment l’idée de faire ensemble, càd d’aller à la rencontre de personnes qui vivent des réalités très différentes des miennes. Ça s’est concrétisé par beaucoup de projets différents, avec toujours l’idée que la création à la fois se partage et s’inspire de la rencontre avec l’autre. Le projet artistique se met en place à partir de processus coopératifs, on travaille beaucoup sur la notion de communs (qu’est-ce qu’on a en commun, qu’est-ce qu’on crée en commun ?).
C’est un travail qui implique un certain nombre de valeurs notamment de respect de l’autre, de la réflexion de l’autre, du corps de l’autre. Ça nous semblait important que ces valeurs se retrouvent aussi dans la manière dont on allait proposer à des personnes d’intégrer l’équipe administrative.
=> puisque ça allait être des gens qui allaient travailler tous les jours pour la compagnie, ça nous semblait logique : emploi permanent meilleure manière d’être cohérents.
Tôt dans la vie de la compagnie, on a fait en sorte que ce soit possible.
D’abord on a obtenu un emploi tremplin : c’était super parce que c’est une aide qui est dégressive sur 4 ans qui nous a permis de développer la structure et donné la possibilité pérenniser un 1er poste de communication et diffusion.
Ensuite on a eu besoin d’un 2e poste à l’administration et la production : On a d’abord bénéficié d’un contrat aidé (CUI) puis là aussi on a pérennisé ce deuxième poste.
Pendant quelque temps (peu, peut-être un an et demi) la compagnie a eu 2 emplois permanents qu’elle assumait seule, sans aide spécifique à l’emploi (la compagnie obtient uniquement des financements aux projets spécifiques). Comme beaucoup de cies indépendantes, ce sont ses projets qui financent son fonctionnement.
En 2012, financements ont commencé à baisser sérieusement pour nous et on s’est retrouvé dans l’impossibilité de continuer à financer seuls ces 2 postes administratifs.
Parallèlement, je représentais à l’époque le Synavi Rhône Alpes au COEF : Contrat Objectif Emploi Formation. IL y a des COEF dans plusieurs régions et dans plusieurs secteurs d’activité, mais Rhône Alpes a été 1e région à formaliser un COEF Spectacle Vivant et Audiovisuel en 2007. Il est signé entre la Région, l’Etat (la Direccte), la DRAC, Pôle Emploi, l’AFDAS, les organisations représentatives des salariés et des employeurs dans le secteur… et a pour objectif d’étudier et d’améliorer la formation et l’emploi dans le secteur.
Cet engagement m’a donné les outils pour initier une réflexion qui s’est ensuite développée dans la compagnie sur la mutualisation des emplois, qui nous semblait répondre à plusieurs problèmes du secteur du spectacle vivant en général et de notre compagnie en particulier:
1/ Le problème concernait plus le secteur que la compagnie, mais tout de même le secteur était très consommateur de contrats aidés. Aujourd’hui évidemment la suppression des contrats aidés a supprimé le problème mais pas résolu le problème de l’emploi dans le secteur. La suppression a été brutale, a fragilisé un secteur qui n’en avait sans doute pas vraiment besoin. Je ne crois pas qu’il y a de proposition autre pour réfléchir plus globalement à comment accompagner les structures artistiques pour qu’elles puissent développer leur projet dans la durée. Digression : Ça va avec la logique des aides aux projets spécifiques et non au projet artistique global, et avec la question de la culture ou du type de présence artistique qu’on a envie d’avoir, dans quel cadre on se situe. Est-ce qu’on est dans un cadre commercial où ce qu’on crée répond à logique de l’offre et de la demande, ou est-ce qu’on développe son travail de création dans une logique de partage, de création de biens commun. Dans ce cas le travail se développe forcément dans la durée et le cadre de financements au projet spécifique est peu adapté.
Pour en revenir aux contrats aidés, à l’époque la surconsommation de CUI ne renforçait pas vraiment les compagnies puisque, même quand ils étaient renouvelés, ils ne l’étaient pas assez longtemps pour pouvoir pérenniser vraiment quelque chose pour la structure. Les compagnies changeaient de personnel tous les 6 mois, les ans, ou 2 ans au max en fonction des possibilités de renouvellement du contrat aidé. D’ailleurs ils répondaient parfaitement à leur objectif : à l’époque ils étaient faits pour être des tremplins pour les salariés mais pas une pérennisation des structures. Les compagnies formaient des personnes qui allaient ensuite travailler ailleurs parce que les compagnies n’étaient pas en mesure de pérenniser leur poste. Il aurait fallu plus de complémentarité entre les différentes formes d’aides à l’emploi : aider les salariés à trouver de l’emploi dans le secteur d’une part et de l’autre aider les structures à pérenniser leur activité.
2e problème : les compagnies avaient souvent les moyens d’avoir une seule personne, un seul salarié qui faisait tout, multitâche, jeune la plupart du temps pour être éligible aux contrats aidés. Or ne peut pas demander à une personne d’être compétente sur tout, de la médiation à l’administration, de la production à la diffusion. Ce n’est pas tellement raisonnable de demander cela à une seule personne.
La mutualisation semblait pouvoir répondre à ces 2 questions et dans la compagnie on a eu envie d’expérimenter ça : de s’associer à une autre structure pour pérenniser 2 postes, ce qui nous permettait de bénéficier des compétences de deux salariés tout en leur proposant un cadre d’emploi stable, en CDI, à temps complet.
On a donc créé un Groupement d’Employeurs avec un lieu alternatif à Villeurbanne, à la fois bar, restaurant et lieu de diffusion de musique et de danse, qui s’appelle Toï Toï le Zinc. Une association à l’intérieur de Toï Toï porte le projet artistique du lieu. C’est avec elle qu’on s’est associés pour pérenniser 2 postes : un poste d’administration production et un poste de médiation communication, de chargée des relations avec les publics.
On a obtenu une aide à la mutualisation des emplois dans le secteur culturel, qui est une aide de la région Rhône-Alpes. C’est une aide dégressive sur 3 ans (on en a bénéficié de 2013 à 2015). Très dégressive. Pour pérenniser ces postes il aurait fallu qu’on augmente considérablement le chiffre d’affaires des 2 associations. Il a augmenté, mais pas assez. Sans aide au fonctionnement de la structure on ne pouvait pas ponctionner assez sur les projets pour financer des emplois permanents.
On a du cesser l’activité du GE fin 2015 au bout de 3 ans d’existence. On a cessé l’activité la mort dans l’âme, mais la fin du GE, et la manière dont s’est passée la dernière année, m’ont conduite à me poser beaucoup de questions sur ce que je croyais juste, correct, au niveau de l’emploi. J’ai finalement aujourd’hui beaucoup moins d’avis sur la question qu’il y a quelques années.
Je parle seulement pour notre compagnie parce que chaque situation est spécifique.
Mais en particulier dans un moment où les financements sont en train de baisser, je me suis aperçue que c’était pas si génial que ça, en tout cas pas aussi génial que je le (qu’on) pensais pour les salariés. C’est-à-dire qu’on pensait leur offrir un cadre confortable pour travailler, mais en fait ça fait porter sur eux une responsabilité énorme dans un moment où on manque d’argent. Dans notre cas de structures fragiles, le salariat permanent était peut-être plus une contrainte qu’une libération pour les salariés.
Ils voyaient que leur salaire était ce qui coûtait le plus cher, ce qui faisait indirectement porter sur ces deux salaires la responsabilité de nos difficultés financières.
Mutualiser c’est avant tout partager des valeurs, avoir envie de faire un bout de chemin ensemble, on s’est dit qu’il y avait plusieurs formes de mutualisation, le GE n’est pas la seule forme possible, et elle n’était sans doute pas complètement adaptée à la fois à notre situation d’association et à la situation du moment, du secteur.
La compagnie a donc dû se ré-organiser encore une fois, réfléchir à une nouvelle structuration après la fin du GE. Il y a eu un moment de flottement, c’est une réflexion qui prend du temps, et comme c’est une réflexion collective avec le bureau cela prend d’autant plus de temps. On a pris la décision de mettre en place 2 choses en parallèle (plus ou moins en parallèle, puisqu’il y a 1 an d’écart entre les 2) :
1/ externaliser plus de choses : la comptabilité-gestion était déjà externalisée, le social aussi (réalisation contrats et fiches de paye), et on a signé avec un bureau de production pour une mission de diffusion. C’est une autre forme de mutualisation qui ne passe pas par le salariat direct. Les personnes du bureau de production travaillent pour plusieurs projets, mais elles conservent leur indépendance (pas de lien de subordination) elles sont salariées par leurs propres structures. Pour l’instant on est plutôt satisfait de cette collaboration, de cette autre forme de mutualisation.
2/ 2e chose qu’on est en train de mettre en place : c’est encore un processus coopératif, interne à la structure cette fois : ouvrir le conseil d’administration de la compagnie. Pour l’instant le CA était limité au seul bureau (dans les statuts depuis tout début association). Là on a invité des personnes très différentes à intégrer le CA de la compagnie pour mettre en place une direction collégiale et un organe de réflexion coopératif sur les questions qui sont en lien avec le projet artistique avec des questions qui m’occupent en tant que chorégraphe et donc qui mettent en jeu la compagnie. Ce sont des questions qui tournent autour de la relation corps-environnement-technologies, qui soulève beaucoup de questions liées au temps, à l’espace, au détournement des outils, à la relation au public…
Micheline : ça va changer la forme de structuration de la compagnie si au CA maintenant il y a de nouvelles personnes…
Natacha : ouais, c’est en train. La 1e réunion aura lieu ce mois-ci.
Micheline : donc tu dis souvent la compagnie, donc tu es la chorégraphe…
Natacha : je suis la chorégraphe, on a 3 danseurs, 1 musicien et 1 artiste visuel qui travaillent eux aussi cette question de la relation aux technologies, 1 chargée de production sur un contrat très partiel, sur une mission ponctuelle, 1 régisseur général. Il y a aussi des collaborateurs plus ponctuels comme un artiste plasticien qui réalise presque tous les décors, une costumière, actuellement une autre artiste plasticienne avec qui je partage la direction artistique d’une nouvelle création. Ce sont toutes des personnes qui travaillent aussi ailleurs. Ils sont engagés en tant qu’intermittents du spectacle ou artistes auteurs en fonction de leur statut.
Quant à la structuration globale on expérimente un nouveau modèle, mais c’est trop tôt pour savoir ce que ça va donner à long terme. On pourra en reparler plus tard si tu veux.